Bibliothèque universitaire Droit-Lettres, Campus du Moufia, Université de La Réunion
Du 21 août 2025 au 3 juillet 2026
Du lundi au vendredi de 7.30 à 19.00
Le samedi de 8.00 à 12.00
Horaires aménagés en juillet-août : du lundi au vendredi de 7.30 à 18.00
* pas de samedi en janvier, juillet et août
Entrée libre et gratuite
Pendant une année, la collection du Frac Réunion s’invite dans les espaces de la Bibliothèque universitaire Droit-Lettres du campus du Moufia à l’Université de La Réunion.
L’exposition Nous, les portraits est une étape supplémentaire dans ce dialogue engagé en 2021 entre les deux institutions, pensée pour interroger la manière dont les images nous regardent autant que nous les regardons.
Cette exposition réunit les œuvres de Farah Al Qasimi, Samuel Fosso, Pieter Hugo, Gabrielle Manglou, Alice Mann & Mary Sibande.
Le portrait n’est jamais un. Il est toujours affaire de relation, de construction, de pouvoir et de stratégies de résistance. Il commence là où deux présences se croisent — le regardant et le regardé — mais convoque davantage : les régimes d’image, les mythologies collectives, les écarts au réel, les fictions à venir. Il est un genre qui ne cesse de se réinventer, parce qu’il touche à ce que nous avons de plus fragile et de plus politique : l’image de soi dans le regard de l’autre, et inversement.
Le portrait nous renvoie sans cesse à ce mouvement d’échange, de glissement entre les places assignées. Je suis celui qui regarde, celui qui est regardé, celui qui cadre, celui qui pose. Et l’autre, tour à tour, peut être celui qui me dévisage, qui me précède, qui m’imagine ou qui me dévoile. Il n’y a pas de position stable dans l’image. Le portrait, toujours, déplace les frontières entre je et tu, entre sujet et objet, entre fiction assumée et vérité projetée.
Dans les photographies de Pieter Hugo, issues de la série There’s a Place in Hell for Me and My Friends, le portrait devient un lieu de tensions visibles. Les visages de Lebo Tlali et de Jake Aikman, proches et silencieux, sont le support d’une opération radicale : par la manipulation des canaux couleur, Hugo neutre la carnation pour mieux en révéler les variations, les marques du soleil, les couches de mélanine. Ce travail renverse l’idéologie raciale fondée sur la couleur de peau. Là où la photographie a longtemps servi à classifier les corps, à construire des typologies racistes, Pieter Hugo en fait un outil de révélation inversée. Il montre que la peau n’est jamais noire ou blanche, mais toujours mélangée, marquée, altérée — et que le regard n’est jamais neutre. Ces images ne documentent pas simplement des visages : elles documentent notre manière de les regarder.
Ce trouble du regard traverse toute l’exposition. Parfois, le portrait se retourne contre le photographe. Dans Chloé Heydenrych, Paige Titus, Ashnique Paulse, Elizabeth Jordan and Chloé de Kock d’Alice Mann, cinq jeunes filles, drum majorettes sud-africaines, nous fixent depuis un point de vue en contre-plongée. L’objectif est clairement dominé. Ce choix de cadrage renverse l’asymétrie du portrait traditionnel : l’image devient un territoire de puissance, de sororité, de visibilité assumée.
Et parfois encore, le portrait surgit là où il semble avoir disparu. After Dinner de Farah Al Qasimi montre un intérieur saturé de textures, de motifs, de couleurs. Deux corps sont dans le champ, mais aucun visage. Et pourtant, l’image déborde de présence : les postures, les accessoires, les atmosphères construisent un portrait sans visage, mais pas sans identité. L’artiste défait les attentes du genre pour mieux révéler ce qu’il contient d’imaginaire et de contrôle.
Mary Sibande, elle, se glisse dans son propre portrait par procuration. Avec I’m a Lady, elle convoque un alter ego sculptural, Sophie, entre domestique et impératrice, mémoire coloniale et réinvention visuelle. À travers cette figure théâtralisée, l’artiste performe un autoportrait fictionnel, où la revendication d’un autre rôle passe par le costume, la posture et le symbole. À travers ce double, elle ne se représente pas : elle se rejoue. Le portrait devient une construction stratégique, où l’identité se performe à distance, entre mémoire subie et rôle choisi.
Un autre jeu est à l’œuvre avec les rôles et les archétypes au cœur de la série Tati de Samuel Fosso. Le pirate, Le maître nageur, L’homme d’affaire : autant de figures stéréotypées que l’artiste incarne dans un geste critique et jubilatoire. La satire visuelle est grinçante, l’humour devient outil politique. Les portraits sont joyeux et colorés, évoquant une mascarade subversive, où l’artiste décline les figures imposées par la société. Derrière cette apparente légèreté se profile un travail hautement critique : Fosso interroge la manière dont les identités sont fabriquées, vendues, consommées
Enfin, Gabrielle Manglou convoque un autre fantôme du portrait photographique : celui de l’archive coloniale. À partir d’une photo de famille ancienne, elle augmente l’image en y insérant d’autres figures, des motifs colorés, des gestes décalés. Voler dans les plumes devient un contre-portrait, un geste de réparation symbolique face à l’appauvrissement iconographique des peuples colonisés. Derrière la photo figée, elle fait ressurgir une multiplicité de récits et de présences invisibles.
Dans ces œuvres, le portrait n’est jamais simple représentation. Il est trouble, jeu, réappropriation, fiction, lieu de mémoire. Il n’est pas un miroir, mais un prisme — un espace où les identités se déplacent, se rejouent, se mettent en scène. Ensemble, ces portraits forment un “nous” composite, un “nous” qui échappe aux assignations, qui habite l’image sans s’y enfermer. Nous, les portraits, c’est dire que chaque visage est un monde, un espace, une fabrique d’altérité.
Anna Vrinat
Née en 1991 à Abou Dabi (Émirats arabes unis), Farah Al Qasimi est diplômée d’un BA (2012) et d’un MFA (2017) de l’Université de Yale. Elle vit et travaille entre Dubaï et New York (Brooklyn) . Installée comme artiste photographe, vidéaste et performeuse, elle a participé à de nombreuses expositions internationales, notamment à la Biennale de Gwangju et à la Kunsthalle Düsseldorf .
Né en 1962 à Kumba (Cameroun), issu d’une famille nigériane. Il a démarré la photographie très jeune, ouvrant son studio à Bangui (Centrafrique) dès l’âge de 13 ans . Il est reconnu pour ses autoportraits performatifs, qui l’ont imposé comme l’une des figures majeures de la photographie africaine contemporaine .
Photographe sud-africain, né en 1976 à Johannesburg, et installé à Cape Town . Autodidacte, il a découvert la photographie très tôt avant d’effectuer une résidence de deux ans au centre Fabrica, en Italie . Il oscille entre portraits, documentaire et mises en scène, exposé notamment à Arles, L’Élysée ou MAXXI Rome.
Née en 1991 au Cap (Afrique du Sud), elle travaille entre Cape Town et Londres. Elle est connue pour ses portraits collaboratifs, réalisés sur des projets au long cours. Sa série Drummies lui a valu le Taylor Wessing Photographic Portrait Prize en 2018, et ses images paraissent dans des publications majeures comme The Guardian ou The New Yorker.
Née en 1971 à Saint-Denis (La Réunion), Gabrielle Manglou s’est diplômée des Beaux-Arts de Montpellier (DNAP) et de Marseille (DNSEP). Après une résidence en 2020 à La Criée (Rennes), elle s’est installée à Locmiquélic, Morbihan. Gabrielle Manglou est lauréate du prix AWARE 2025.
Née en 1982 à Barberton (Mpumalanga, Afrique du Sud), elle vit et travaille à Johannesbourg. Diplômée en beaux-arts à Witwatersrand Technikon (2004) puis B-Tech à l’Université de Johannesburg (2007). L'artiste est conviée à représenter l’Afrique du Sud à la Biennale de Venise en 2011.
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